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James Hughes, "une société idéale utilisera les sciences et les techniques pour créer de la santé"


Rédigé le Mardi 15 Novembre 2016 par oolive




Directeur Adjoint de l’Université du Massachusetts à Boston (États-Unis) pour la recherche institutionnelle, l'évaluation et la planification, le bioéthicien et sociologue américain James Hughes est également Directeur Exécutif de l’Institut pour l’Éthique et les Technologies Émergentes. Fondateur du Transhumanisme dit « démocratique », il prône un courant de pensée ancré dans les valeurs de la justice sociale. Businews s'est entretenu avec le parrain 2016 de The Health Future Show au lendemain des élections américaines, une période qui met plus que jamais en exergue les affrontements entre différents courants de pensée.


Businews: Vous vous définissez comme un « techno-optimiste » et vous êtes l’un des fondateurs du mouvement transhumaniste démocratique. Quelle est votre vision d’une société idéale ?


James Hughes: Une société idéale utilisera les sciences et les techniques pour créer de la santé, de la richesse et des loisirs, et s’assurera ensuite que ces biens sont largement et équitablement partagés. Nous allons par exemple disposer sous peu de technologies qui nous permettrons de vivre au-delà de 100 ans, avec des robots qui effectueront la majeure partie de nos tâches dangereuses et ennuyeuses. Nous devrons lutter pour garantir que la longévité et la richesse nées de ces technologies soient accessibles à tous grâce à des soins de santé universels et un revenu minimum garanti. La vision transhumaniste démocratique, qui fait désormais partie du courant idéologique « techno-progressiste », est l’application des valeurs de gauche héritées des Lumières aux technopolitiques contemporaines.
Les philosophes du Siècle des Lumières imaginaient que les hommes pouvaient s’améliorer jusqu’à dépasser les limites de leur animalité, grâce à la raison, aux sciences et aux techniques et non par la foi et la pensée magique.
Les Lumières écossaises, et la tradition libérale classique, partagent cette aspiration avec la gauche inspirée des philosophes des Lumières, même si elles sont en désaccord au sujet de l’importance de la démocratie, des marchés et de l’égalité. Il s’agit également du principal point de divergence avec le futurisme et le transhumanisme.

Businews: Vivre plus longtemps, en meilleure santé et avec des capacités intellectuelles, physiques et émotionnelles renforcées… Quel est l’objectif ? Défier les lois naturelles de la génétique ? Repousser l’échéance de la mort ? En bref, le transhumanisme ose-t-il avoir l’ambition de changer les fondamentaux de la condition humaine ?

JH: Oui, le transhumanisme, c’est le projet d’utiliser des technologies visant à transcender les limites du cerveau et du corps humains. Cela veut dire une intelligence, une maîtrise émotionnelle, une santé, des capacités et une longévité supérieures. À terme, cela pourrait conduire à des êtres humains qui deviennent méconnaissables, « posthumains ». Nos descendants se considéreront peut-être encore comme humains, même si nous, nous ne les considérerions pas comme tels, de la même manière que nos ancêtres du Paléolithique ne reconnaîtraient rien d’eux en nous.

Businews: Améliorer l’aspect physique et accroître l’intelligence, soit, mais lorsque l’on sait que des millions d’êtres humains n’ont pas accès aux soins de santé de base, s’agit-il vraiment d’une priorité ? Cela ne contribuerait-il pas à creuser les inégalités entre pays industrialisés et pays en développement et ainsi aller contre les fondements éthiques censés régir ce mouvement?

JH: Accroître l’accès aux technologies bénéfiques dans les pays en développement constitue déjà l’un des objectifs officiels de tous les États. Lorsque nous disposerons de thérapies efficaces et peu onéreuses permettant de prolonger la vie ou de renforcer l’intelligence, les mêmes institutions internationales telles que l’OMS, et les mêmes ONG, comme le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, seront là pour étendre leur rayon d’action aux populations pauvres du monde.
Lorsque les antibiotiques ou les médicaments antirétroviraux ont été inventés, personne ne les a remis en question parce qu’ils n’étaient pas encore accessibles à tous. La question alors, et la question pour demain, est de savoir comment garantir qu’ils le soient.

Businews: Le transhumanisme trace son chemin dans un monde et une époque où les convictions et les tensions religieuses sont fortes. La plupart des transhumanistes se définissent comme des athées. Pour autant, n’est-ce pas là une nouvelle forme de croyance ?

JH: Pour les transhumanistes laïcs, et la plupart des transhumanistes le sont, le transhumanisme offre bel et bien certaines des mêmes promesses que la foi – une vision exaltante de la vocation et du destin de l’humanité, une meilleure santé et une plus grande sagesse, voire une vie illimitée. Mais cela ne veut pas dire que le transhumanisme n’est qu’une foi détournée, pas plus que penser que l’humanité pourrait périr dans une guerre nucléaire revient à croire qu’elle pourrait être détruite par un Dieu courroucé. Les deux croyances peuvent inspirer une même terreur, mais l’une est fondée sur la réalité tandis que l’autre ne l’est pas.
Il existe également des transhumanistes de toutes les confessions. Certains, comme les transhumanistes mormons, considèrent les technologies d’amélioration de l’être humain comme l’accomplissement de leurs prophéties. Je suis bouddhiste et je vois une complémentarité entre la sagesse et les pratiques contemplatives du Bouddhisme et la longue vie et le contrôle mental qu’offre la technologie. Toutes les croyances vont inévitablement se confronter, puis intégrer de manière sélective les technologies d’amélioration humaine, comme elles ont dû faire avec la médecine et la psychiatrie.

Businews: À l’occasion du Health Future Show, vous allez notamment rencontrer l’Association Française Transhumaniste. Quelles sont, à votre avis, les différences entre les mouvements français et américain ?

JH: Les transhumanistes américains sont dominés par la Silicon Valley et son scepticisme traditionnellement libéral à l’égard du gouvernement, et son enthousiasme pour les marchés.
Certains, comme le transhumaniste milliardaire Peter Thiel et ses acolytes transhumanistes « néoréactionnaires », sont enthousiasmés par notre nouveau président. Peter Thiel fait partie du cabinet de transition de Trump. Les transhumanistes français s’intéressent davantage à la version « techno-progressiste » du transhumanisme comme une expression de la philosophie des Lumières, ce qui correspond à l’orientation de près de la moitié des transhumanistes dans le monde. J’ai été ravi de travailler avec les transhumanistes français sur une Déclaration techno-progressiste commune en 2014, et nos travaux à ce sujet s’avèrent de plus en plus pertinents. 

Propos recueillis par Orianne Olive

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