Rénovation tardive, opacité des calendriers, ouverture des Terrasses du Port, les commerçants du centre historique de Marseille craignent un glissement de leur clientèle vers le littoral et tirent la sonnette d’alarme.
6 mois. C’est le temps qu’il reste avant l’inauguration du centre commercial Les Terrasses du port prévue le 16 mai 2014 sur le boulevard du littoral. Concrètement, ce sont 2600 places de parking et 61000m2 de boutiques qui vont ouvrir et proposer une offre commerciale sensiblement similaire à celle du centre ville. De quoi attiser les inquiétudes des commerçants qui appréhendent cette bataille de la concurrence sans compter qu’à terme, ce sont 200000m2 de surfaces commerciales qui vont ouvrir tout autour du centre de Marseille. « La fracture du centre ville liée aux aménagements du littoral est désormais palpable » témoigne Laurent Vandamme, président de l’association Marseille Centre, « Les rues au-delà du vieux port sont étroites, souvent sales, mal adaptées, les gens font demi-tour ». Le risque ? Que le shopping dans le centre ville de Marseille ne rime plus avec plaisir, que les gens y passent mais ne s’y balladent plus. Et c’est précisément ce que le groupe Hammerson, promoteur des Terrasses du Port souhaite éviter. « Nous avons dédié deux millions d’euros à la dynamisation du centre ville» précise Sandra Chalinet, directrice du centre commercial. « Les Terrasses du Port ne pourront être un succès que si l’ensemble de la zone touristique est attractive. Nous avons réparti ces deux millions sur les axes accessibilité (navettes électriques), animations et grands gestes évènementiels (spectacles permanents dans des lieux clés comme un spectacle de jet d’eau sur le vieux port ou la digue du large). Nous voulons un lien fort et pérenne avec le centre historique ».
Jouer la complémentarité
Au sud, le « quartier gagnant » rue Sainte/place Lulli/rue Grignan profite de tous les bienfaits de sa rénovation récente (commerces florissants, rues agréables). On y constaterait une augmentation de 17% de passage de piétons*. Côté Ouest, le Centre Bourse est en cours de restauration et côté est, les travaux du tramway de la rue de Rome promettent de raviver l’ancienne gloire de cet historique axe commerçant. Pourtant, Max Melka, président de l’association Nouveau Centre, a du mal à y croire. « Lorsqu’on regarde les commerces sur le trajet du tramway actuel, notamment sur la rue Colbert, Belsunce et le haut de la Canebière, je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu la moindre amélioration. La réponse ne peut pas venir que du tramway. Tout est allé très vite pour le littoral, alors pourquoi attend-t-on depuis 30 ans dans le centre ville ? Tant qu’il n’y aura pas de vision d’ensemble, nous ne verrons pas le bout du tunnel». Même Kenny Tissu, installé depuis 50 ans sur la rue de Rome, ferme. « Dégouté ! La coupe est pleine ! », souffle le gérant, amer. « Depuis les années 80, mon chiffre d’affaires a été divisé par 4. Et en plus nous devons nous battre sur tous les fronts : incivisme, ventes à la sauvette, bagarres. Ça suffit ». Alors aux grands maux pas de grands remèdes mais une profonde remise en question: « Nous avons besoin de commerces uniques et spécifiques, qu’on ne trouve pas ailleurs » reprend Laurent Vandamme, « mais pour les faire venir, la ville doit être attractive tant visuellement qu’au niveau des aménagements, des équipements ou des animations. Les institutions semblent se renvoyer la balle alors que nous attendons un projet d’ensemble pour le centre ville, un capitaine avec des équipes derrières qui regardent dans la même direction et qui accélèrent le processus de rénovation ».
A 4 mois des élections municipales, la situation d’urgence pourrait se transformer en exercice de patience.
« C’est le moment d’acheter ! ». Didier Bertrand, gérant de l’agence immobilière Le Marquis dresse son état des lieux de la situation du centre-ville.
« Il y a plus de 10 projets commerciaux qui vont ouvrir entre 2014 et 2016. On risque de frôler la sur-offre ! Parallèlement, je n’ai jamais constaté autant de commerces à la vente dans le centre de Marseille et dans le même temps aussi peu d’acquéreurs. Ces derniers sont clairement en phase d’attentisme car ils ne voient pas de projet clair. Les rues Saint Ferréol et Paradis sont en souffrance, et il y a de plus en plus de baux précaires rue de Rome. Paradoxalement, pour celui qui a une idée de commerce original, unique, c’est le moment d’acheter car il y a du choix et 100% de chance de trouver l’emplacement idéal. Il faut être dans une logique d’entrepreneur. Les travaux de réhabilitation étant en cours doucement mais surement, c’est peut être le moment de prendre des risques ».
Les réactions
Mairie de Marseille: « Nous avons conscience de l’urgence »
Solange Biaggi, adjointe au maire chargée du commerce, de l'artisanat, des Professions libérales et du Centre Ville espère le début des travaux pour toutes les rues principales d’ici la fin de l’année. Véritable annonce ou regain d’optimisme ?
« Nous sommes parti du constat en 2001 que plus d’un million d’euros était dépensé par les marseillais en dehors de la ville. Mon projet ? Agrandir le centre ville (de la joliette à Castellane en passant par le stade Vélodrome et la Capelette), y apporter une nouvelle organisation urbaine, développer le commercial tout en préservant le commerce de proximité et l’aspect culturel. Bien sur, tout ceci n’a pas de sens sans une rénovation de l’hypercentre. En 2008, nous avons fait le choix d’axer nos efforts sur le vieux-port. Aujourd’hui nous poursuivons avec la rénovation du Centre Bourse, de la rue de Rome et nous espérons bientôt entamer celle des rues Saint-Ferréol et Paradis (agrandir les trottoirs, enlever les stationnements, enterrer les containers à poubelles, créer un accès direct au parking du centre bourse). Nous espérons le début de tous les travaux d’ici la fin de l’année mais nous attendons une réponse de MPM ».
MPM: « Tous les projets sont programmés ! »
Du côté de Marseille Provence Métropole, Joel Raffin, directeur général des services, pose le calendrier prévisionnel des travaux de rénovation.
« Il ne nous est pas possible de faire tous les travaux en même temps, d’abord financièrement mais également pour ne pas paralyser toute la ville d’un coup. Nous avons commencé par le vieux port dont il nous reste les branches ouest. Nous rénovons également toute la voierie autour du centre bourse et menons de front les travaux de la rue de Rome jusqu’à l’automne 2014. La rénovation de la rue Saint Ferréol devrait commencer fin 2014-début 2015 mais comme il y a déjà une forte demande, nous apportons depuis le mois dernier une aide ponctuelle en réparant les problèmes de revêtement et en apportant un budget « animations » aux associations. Quand à la rue Paradis, il n’y a rien d’arrêté. Une certitude, ce ne sera pas en 2014. Nous devons mettre au point le projet avec la ville de Marseille. Tous les projets de rénovation ont été votés au conseil de communauté, il n’y a donc aucune raison qu’ils soient stoppés, même à l’approche des élections municipales ».
Orianne OLIVE
crédits photo: O.OL